Découvrez le nouveau numéro de la revue N&P : Lanceurs d’alerte

À bien y regarder, en 1964, les fondateurs de Nature & Progrès étaient bel et bien des lanceurs d’alerte. Et ô combien méritants de dénoncer, en pleine révolution verte, les dangers des produits chimiques de synthèse en agriculture.

En s’appuyant notamment sur les travaux de la scientifique Rachel Carson révélant les méfaits des pesticides sur la santé des écosystèmes et de la vie en général, ces précurseurs de la bio s’exposaient eux-mêmes à de fortes critiques et menaces. Dans son livre « Le pari fou du bio » (2020), Claude Aubert témoigne « du contexte difficile et des combats à contre-courant menés par les pionniers de la bio dans une époque où l’agriculture chimique et industrielle était triomphante. » (1)

Quand on réalise les difficultés rencontrées, encore de nos jours, par ceux qui dénoncent les risques pourtant largement connus et documentés de l’agrochimie (2), il nous appartient de prendre la mesure de l’incroyable pouvoir des firmes à influencer des décisions engageant l’avenir de tous.

Cette emprise, le député Vert européen Benoît Biteau l’a notamment pointée au moment de la réforme de la politique agricole commune (PAC), en 2021 : « Cette réforme qui conditionnera l’avenir de l’agriculture jusqu’en 2030 est surtout un exercice de greenwashing bien rodé, auquel ministres, lobbies de l’agrobusiness et députés européens se livrent dans une parfaite décomplexion. En réalité, les textes votés disent une tout autre réalité que ce qui figure dans les éléments de langage diffusés par les ministres. La Politique Agricole Commune (PAC) passe complètement à côté des enjeux de la décennie… Nous perdons 10 ans. La honte ! » (3)

Achat d’expertises scientifiques biaisées, pantouflages, conflits d’intérêts chez certains acteurs majeurs au sein d’instances décisionnaires : autant d’outils utilisés par les lobbies pour détourner l’attention du public de questions parfois cruciales. Opérations de dénigrement des opposants, utilisation de cabinets-conseil payés pour désamorcer les sujets de conflits ou créer des diversions, le tout avec quelques complices dans la presse « mainstream » et le tour est joué. Gilles-Eric Séralini s’est ainsi vu discrédité dans un grand nombre de médias tandis qu’il rendait publics les travaux du CRIIGEN sur les dangers de la nourriture OGM. Heureusement, grâce aux « Monsanto papers », nous savons depuis que c’est la firme elle-même qui avait commandité ces attaques visant le professeur.

Cette force des lobbies, avec leurs nouveaux savoir-faire pour manipuler l’opinion, affecte l’ensemble des secteurs : environnement, santé, social, justice, numérique… Tout au long de ce dossier, nous prendrons la mesure de leur capacité de nuisance. C’est pour éviter de tomber dans les théories du complot qui nuisent tant aux légitimes combats de la société civile que nous avons besoin d’une presse libre et indépendante. Pouvoir disposer d’une information fiable et vérifiée est en effet la clé de toute lutte refusant de semer sur du sable. En ce sens, l’affaire Assange est hautement symbolique. Protéger le fondateur de Wikileaks, à qui l’on doit tant, ne pas l’abandonner aux ignobles campagnes de dénigrement dont il est victime, voilà sans doute l’une de nos priorités. Car visiblement, les États-Unis ont oublié les mots du principal rédacteur de leur Déclaration d’indépendance, le Président Thomas Jefferson, pour qui : « Notre liberté dépend de la liberté de la presse, et elle ne saurait être limitée sans être perdue. »

Nelly Pégeault

Notes :

  1. Cf. « Le pari fou du bio, entretien avec Claude Aubert », revue N&P n°130 (nov. / déc. 2020 – janv. 2021).

  2. Pensons à Valérie Murat, condamnée, avec son association « Alerte aux toxiques », à payer 125 000 € d’amende avant de pouvoir faire appel dans un procès qui lui a été intentée, notamment pour avoir