Les arbres et nous

« Plantons des arbres et les racines de notre avenir s’enfonceront dans le sol et une canopée de l’espoir s’élèvera vers le ciel. »

Wangari Maathai (1940 – 2011), connue comme « la femme qui plantait des arbres »,

prix Nobel de la Paix 2004

En souvenir de son Kenya natal autrefois verdoyant, Wangari Maathai initia, dès 1977, un ambitieux projet de replantation d’arbres à travers l’Afrique. Malgré le décès de son initiatrice, en 2011, ce grand chantier nommé « Green Belt » (1), se poursuit, réalisé essentiellement par des villageoises. Il a pour but de rétablir une ceinture d’arbres d’Est en Ouest, afin de lutter contre la désertification.

La présence des arbres favorise la biodiversité et revitalise les sols tout en jouant un rôle crucial contre le réchauffement climatique. Depuis la nuit des temps, l’arbre et l’homme entretiennent une relation passionnelle.

Nombre de noms de lieux ou patronymes ont pour origine des noms d’arbres. Ces derniers offrent gîte, couvert, pharmacopée et chauffage et inspirent mythes, philosophie et poésie. En période de sécheresse, les anciens éleveurs « faisaient la feuille » pour nourrir le bétail, et les troupeaux paissant au pied des arbres limitaient le développement des parasites ainsi que des gourmands.

La collaboration entre l’arbre et l’homme s’inscrit dans nos paysages, mais pas seulement.

La guerre au vivant livrée par le développement industriel a laissé des traces et impacté de façon alarmante la qualité des sols, le cycle de l’eau et la biodiversité. Heureusement, une prise de conscience de ces effets délétères incite aujourd’hui à réintroduire les arbres dans les pratiques agricoles.

Depuis quelque temps déjà, de nouveaux termes apparaissent tels que « tree hugging »,

« sylvothérapie », « bain de forêt », pour qualifier les bienfaits dispensés par les arbres. En chromothérapie, le vert du feuillage est considéré comme relaxant. Certaines des substances émises par les arbres (comme les terpènes) ont la faculté de diminuer la tension artérielle, le rythme cardiaque, et d’apaiser (en réduisant le taux de cortisol, hormone du stress).

Comme disait Brassens : « Auprès de mon arbre je vivais heureux… »

Ne descendons-nous pas autant de l’arbre que du singe ?

Mathilde Filée, administratrice de la Fédération Nature & Progrès,

chevrière sous mention N&P (Aveyron).

Le comité de rédaction

 

Présentation du dossier

« Les arbres sont de grands sages… bien ancrés dans le sol, ils sont à l’écoute de la terre, mais cela ne les empêche pas d’avoir la tête dans les nuages et d’écouter les histoires du vent… et toujours vouloir aller plus haut, vers la lumière. »

Michel Tournier

Les arbres et nous, c’est une très longue histoire, un compagnonnage de toujours. Le premier ancêtre de l’arbre, Archaeopteris, est apparu il y a 370 millions d’années⁽¹⁾. C’est à ce vénérable végétal que l’on doit les ingénieuses inventions du marcottage et du bouturage, deux stratégies qui lui ont permis, en complément de sa reproduction par spores, de se disséminer dans la Pangée, pour finalement devenir le maître des forêts primaires de l’antique continent. C’est nettement plus tard, il y a moins de trois millions d’années (avec homo habilis), que l’homme apparaît dans un monde donc littéralement peuplé d’arbres et de forêts. L’écologue Jacques Tassin, auteur de « Penser comme un arbre » ⁽²⁾ remonte à nos plus lointaines origines, celle des primates d’il y a soixante millions d’années, pour expliquer comment notre squelette, nos épaules, nos mains, nos pieds se sont façonnés au contact des arbres, comment, à leur image, certains de nos organes sont structurés ou fonctionnent en arborescence.

Malgré cette intime relation qu’elle a toujours entretenue avec les arbres, l’humanité en est aujourd’hui devenue la pire prédatrice : partout sur la planète, la forêt, primaire notamment, est en sursis.
Le néolibéralisme est passé par là, qui a entrepris de ne plus voir en elle que son côté utilitaire : la voilà réduite au seul état de matériau « bois », source de profits.

Savoir que la logique capitaliste a entraîné ce désastre est tout à la fois inquiétant et rassurant. Inquiétant, car bien qu’elle soit mortifère, cette logique ne semble nullement affectée malgré les méfaits dont on la sait responsable : effet de serre, pollutions, déclin de la biodiversité, menace sur la vie-même…

Rassurant, quand on réalise, notamment grâce aux analyses d’Oxfam ⁽³⁾, que l’on ne doit cette prédation qu’à une poignée de milliardaires aux manettes de la mondialisation : un seul petit pourcentage d’humains qui s’accapare les deux tiers des richesses produites par l’ensemble des populations !

Le reste de l’humanité, qui se mobilise massivement à travers le monde pour contrer la déforestation, serait-il donc encore connecté à ses racines ? Le retour de Lula à la tête du Brésil constituera sûrement une inestimable respiration pour la forêt amazonienne. Autre bonne nouvelle, l’importation en Europe de produits issus de la déforestation à l’autre bout du monde⁽⁴⁾ sera désormais interdite.

Et puis, il y a tous ces signes de retour en grâce de l’arbre dans nos vies : on apprend la nécessité de replanter des arbres jusque dans les écoles, les pratiques de l’agroforesterie gagnent du terrain y compris chez les plus conventionnels de nos agriculteurs, la plantation de haies est de nouveau encouragée…
Sans compter qu’en termes de santé, les bienfaits de la gemmothérapie ou de la sylvothérapie commencent à infuser dans nos sociétés, restaurant en nous cette sensibilité, ces dimensions que seuls les poètes savent traduire :

« […] Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,

Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime ! »

Extrait de « Aux arbres », Victor Hugo

Nelly Pégeault

Notes :

1- Source : « Le plus vieux tronc commun. Il y a 370 millions d’années, « Archaeopteris » fut le premier arbre moderne. », Véronique Bergeron, Libération, le 4 mai 1999. (www.liberation.fr) ;

2- Lire son article en pages 22 et 23 de ce dossier : « Quel rôle l’arbre joue-t-il dans la course du monde ? »

3- Lire le rapport « La loi du plus riche » sur www.oxfamfrance.org

4- Exemples : les agrocarburants à base d’huile de palme, ou le soja pour nourrir le bétail européen…
source : www.greenpeace.org

 

Sommaire

SOMAIRE Revue N&P 141 : février-mars 2023

5 édito

7 brèves

8 bio-portrait

Bienvenue à la SAUGE, Société d’Agriculture Urbaine Généreuse et Engagée

Quand Swen Déral et Antoine Devins se découvrent une passion commune pour l’agriculture urbaine, ils n’ont qu’une envie : la pratiquer, la partager et l’enraciner au cœur des villes.

10 lecture

Qui veut la peau des vaches ?

Entretien avec Claude Aubert sur son dernier livre défendant l’élevage à l’herbe, pas si émetteur de gaz à effet de serre contrairement aux idées reçues.

12 tribune

L’alimentation de tous doit être biologique

Face aux difficultés actuelles de la bio, organisations et entreprises appellent à soutenir le développement des filières d’agriculture bio à partir des régions.

14 opinion

Être antinucléaire, une question de bon sens

Quand la pression médiatique et politique vise à justifier la construction de nouvelles centrales atomiques, il convient de rappeler le bilan catastrophique de cette industrie.

17 initiative

La création du Jardin Botanique de l’Aubrac : une bien belle histoire

Francis Nouyrigat, avec quelques complices, s’est lancé dans le recensement et l’acclimatation de l’incroyable biodiversité végétale de l’Aubrac. Une richesse qu’il a mise à portée du public.

20 nouvelles des réseaux

La fin du pastoralisme ?

21 dossier

LES ARBRES ET NOUS

Parmi les innombrables ramifications possibles d’un tel sujet, nous avons choisi de suivre la branche de la paysannerie… Depuis les savoirs anciens jusqu’aux nouvelles pistes d’aggradation et de production, les arbres restent une source inestimable d’inspiration, et prouvent notre éternel besoin de leur compagnonnage.

22 Quel rôle l’arbre joue-t-il dans la course du monde ?

24 Les nouveaux grands-parents de la forêt

26 Arbres paysans : histoire d’une relation et d’une résistance commune

29 Des arbres en cercle pour se passer de pesticides

32 Créer un paysage fertile sur des terres difficiles : une agriculture de régénération fondée sur l’arbre et l’économie d’eau

34 Multiplier et planter des arbres : en prendre de la graine

37 L’arbre hors forêt au cœur de nos paysages

39 Arbres : un livre qui envoie du bois

40 écologie

Justice climatique : l’étau se resserre sur les producteurs d’énergies fossiles

Les recours climat contre les États flèchent la responsabilité juridique des entreprises productrices d’énergies fossiles

42 la vie de N&P

La convivialité, pour une bonne vitalité d’un groupe N&P

44 mobilisation

Quel destin pour La Borie ?

Large appel à souscription

45 cuisine

Les recettes bio-gourmandes de Valérie Cupillard : l’heure du goûter

46 jardinage

S’adapter au dérèglement climatique (2ème partie)

48 Agenda

49 Livres, vidéos, CD

50 Petites annonces et abonnement à la revue